Analyse
A bien analyser le processus de décentralisation, il faut dire qu’Haïti n’a pas de maturité en la matière. Il s’agit d’un processus qui est à peine démarré. Il y a bien des textes de lois disponibles. On a franchi aussi un niveau important qui est l’organisation d’élection démocratique. Mais on est à une phase transitoire assez importante. La constitution fait beaucoup d’innovations dans le système de gestion du pays en ce sens que le système de décentralisation par exemple : les juges de paix, de la cour d’appel et du tribunal de 1ere instance sont nommés a partir de listes de noms soumis par les Assemblées communales et départementales.- Le conseil électoral permanent est formé a partir des propositions de l’assemblée départementale.- Le conseil des ministres est contrôlé par l’assemblée départementale. Cependant, il faut dire aussi que c’est un système lourd et couteux qui sera difficile à être mis en place.
Tout ceci relève de la théorie si l’on considère le niveau ou l’on est mais qu’est ce qui explique que ce processus a mis autant de temps pour se démarrer? Quel sont en fait les facteurs de blocage a ce nouveau mécanisme prôné par la constitution depuis une vingtaine d’années ? A bien considérer le système social, politique et économique du pays nous pouvons comprendre qu’il peut y avoir bien des blocages à tout système qui prône une participation populaire pour un mieux être. Nous pouvons déceler des causes à la fois politiques et administratives aussi bien des causes socio-économiques. C’est sur ces angles que nous allons essayer de porter notre analyse.
A.- Les causes politico-administratives
Ils sont pour nous de 4 ordres :
A1.- Centralisation des pouvoirs au sommet de l’exécutif :
Les chefs d’Etat ne tolèrent pas de partager leur pouvoir avec les autres et leurs proches collaborateurs pour pouvoir durer ne prendront que des décisions qui trouvent sa bénédiction. Ce comportement se manifeste fortement au sein du pouvoir exécutif et influent fortement sur les relations entre autres pouvoirs. Les dirigeants privilégieront les problèmes nationaux aux problèmes locaux à moins qu’il y ait du leader local aux abords du pouvoir. Donc un pouvoir patrimonial qui privilégie le clientélisme comme voie d’accès aux avantages et aux services publics. Dans quelle mesure le principe de subsidiarité peut-il être applique compte tenu de la culture de concentration de pouvoir des dirigeants? Donc un système à questionner fortement si l’on veut instaurer la décentralisation qui vise à fournir aux collectivités des compétences propres et distinctes de celle de l’Etat.
A2.- Centralisation des services publics existants à Port-au-Prince et dans les chefs lieux des départements :
En 1996, le recensement des agents de la fonction publique a révélé qu’il y en a 46% qui etait basée a la capitale ou il n’y avait a l’époque que 19% de la population globale. Cela signifie que 81% des habitants du pays devaient se contenter des services fourni par 56% des agents. Cependant 86% de ce nombre sont dans les villes. Il n’y avait que 14% en milieu rural or 65% des habitants vivent en milieu rural. Mais, ces informations ne signifient pas une abondance de service à la population des agglomérations urbaines puisqu’il n’y a pas plus que 1 fonctionnaire pour desservir 100 habitants. En milieu rural 1/10 de fonctionnaire pour cent habitant mis a part qu’ils ne sont que d’agents agricoles, auxiliaires de santé et enseignants. Le principe de supériorité ( i.e c’est le palier qui dispose le plus grand atout de pouvoir qui contrôle les décisions) est en jeu ici puisque l’Etat central a toujours tous les atouts.
Dans ce contexte, peut-on vraiment décentraliser ? Quel dispositif à mettre en place pour dynamiser les compétences en milieu rural haïtien? Comment on fait dans ces genres de situation? Qu’est ce qu’on peut faire dans les sections communales ou il n’existe plus rien comme service?
A3.- Le mal fonctionnement des services :
A part la concentration des pouvoirs au sein de l’exécutif et centralisation des services, la gouvernance est aussi un élément fondamental. Il y a aussi le dysfonctionnement dans l’organisation des services publics. Ceci est caractérisé par :
· Absence de coordination de l’action publique (duplication des services)
· Faiblesse de vision stratégique et gestion au quotidien (politique publique cohérente)
· Faiblesse en matière de politique d’acquisition et de gestion de matériels et équipements
· Déficience dans la gestion des ressources humaines
· Inadéquation entre la formation des agents et les postes occupés
· Trop grande dépendance de l’aide externe pour le financement des projets
· Laxisme et sinécure dans la fonction publique
· Corruption et concussions dans l’administration
A4.- Perte de crédibilité et de légitimité de l’Etat :
Vu que l’Etat n’arrive pas à satisfaire les besoins des habitants, ces derniers s’orientent vers la société civile, les ONG, la diaspora pour subvenir a leur besoins. L’Etat perd de plus en plus confiance des habitants. En effet, l’offre de service du secteur privé est largement supérieure à celui du service public. 80% des services d’éducation et 65% des services de santé sont fourni par le secteur prive. La commission nationale à la réforme administrative a reconnu en 2002 que 90% de l’offre des services pour apaiser la misère est fourni par le secteur privé. L’Etat étant incapable de remplir ses fonctions régaliennes de puissance publique, de faire appliquer la loi, d’assurer la protection des vies et des biens voir de réguler l’action des ONG.
Alors, comment on fait pour que les citoyens reprennent confiance dans l’Etat ? Comment un Etat aussi faible peut-il instaurer un processus de décentralisation? Que faire de la section communale ou il n’exerce aucune compétence?
B.- Causes socio-économiques :
L’Etat traditionnel au cours de l’histoire s’est mis au service d’une oligarchie dominante. Il s’en suit une société bâtie sur l’exclusion de la grande majorité vivant en milieu rural depuis les années 1800 et dans les bidonvilles depuis deux décennies. Il se crée deux mondes : un monde urbain qui est érigé en espace de pouvoir centralisé autour de l’Etat et un monde rural « pays en dehors » formé d’anciens esclaves dont le régime de production est base sur une agriculture de subsistance.
Cette séparation s’est manifestée dans le système par des lois « codes ruraux » et l’existence jusqu’en 1980 de deux système d’enseignement:
· Enseignement urbain géré par le Ministère de l’Education nationale
· L’enseignement rural géré par le ministère de l’agriculture mais en « français »
La décentralisation pour une véritable transformation sociale en Haïti comporte de grands défis en témoigne ces quelques chiffres :
- 60% de la population vie en milieu rural mais seulement :
.- 1% jouit des services sanitaires
.- 10% accède à l’eau potable
.- Moins de 5% des écoles publiques sont installe en milieu rural
.- 0,1% des fonctionnaires travaillent en milieu rural
Tout ceci pour dire qu’il y a un processus de décentralisation qui est enclenche en Haïti. Mais il y a beaucoup de défi à relève pour que cela devienne réalité. On peut se poser beaucoup de question sur la volonté politique réelle de l’Etat à décentraliser. Compte tenu de l’état de pauvreté, de la culture d’omniprésence et d’omnipotence des chefs d’Etat, du niveau de ressources humaines existantes nous pouvons dire que seule la pression ne suffit pas. Il faut une vrai volonte et une vraie capacité de mobilisation. La l’artisan doit être persévérant.
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